Trois contes populaires

recueilli par Uwe Topper chez les Imazighen (Ihahan) de la région d'Essaouira en 1973

DschedadI


Les biens matériels sont éphémères

Le plus ancien roi dont se souvient la mémoire du peuple des Imazighen s’appelait Jedad u ben Ad. Il était souverain des Jinn et des hommes, et il vivait dans un temps très reculé. Sa devise favorite était: Je ne mourrai jamais. Il passait son temps assis sur son trône en exerçant la justice, appuyé sur son bâton.
Il se tint ainsi très longtemps sans que les Jinn et les hommes s'aperçoivent de sa mort. Mais après un laps de temps assez long, le bâton, qui était rongé par un ver, se rompit et la momie du monarque tomba sur le sol. Aussitôt les hommes et les Jinn fuirent la cité qui resta déserte depuis cet événement.
Du roi il ne resta que cette chanson populaire:

«Qu'est il advenu du roi Jedad u ben Ad?
Il construisait des murs d'or
et d'autres de cuivre,
et entre son corps et la terre il y avait de l'argent.
Le trône sur lequel il s'asseyait
était fait d'or pur,
mais quand l'ange de la mort vint,
ses richesses ne lui servirent à rien.»

Au cours des siècles les gens oublièrent le lieu de la cité du fameux roi, mais un jour la rumeur de ce puissant roi parvint jusqu’à Salomon, fils de David, sur son trône à Jérusalem. Aussitôt Salomon convoqua ses hommes les plus savants, les Jinns et les oiseaux, et les questionna sur l’endroit de cette cité, mais ne put rien obtenir. Seul le vieil aigle était absent du conseil. Après neuf jours le vieil aigle apparut enfin et se jeta aux genoux du souverain. Il dit:
«O mon roi, savant Salomon, je tardai parce que j’étais avec mon vieux père sur l’île loin au milieu de l’océan. Mon père est âgé de neuf cents années, il est très faible, aveugle et déplumé. Je dois le protéger constamment des rayons du soleil brulant en volant juste au-dessus de lui, lui procurant ainsi de l’ombre. Laisse-moi retourner auprés de lui!»
Salomon répliqua: «Retourne chez ton père et demande lui des nouvelles de Jedad, le fils de Ad, et de sa cité. Après reviens ici et rapporte-moi sa réponse!».
L'aigle vola vers l'île où habitait son père et lui transmit le désir du roi Salomon. Le vieil aigle lui répondit: «Je ne me souviens pas de ce fameux roi des hommes et des Jinns, mais mon grand-père qui mourut à l'âge de 1300 ans m'avait conté son histoire. Jedad u ben Ad possédait tous les biens de la terre et n'ignorait aucune science mais n'échappa pas à la mort. Nous sommes issus de la terre, vivons sur la terre et retournerons à la terre».
Après il lui expliqua le chemin vers la cité oubliée, et son fils vola de nouveau à l'encontre du roi Salomon pour lui raconter tout ce qu'il savait. Salomon réunit toute sa troupe et suivit l'aigle qui vola devant l'armée à travers le désert jusqu'à la mer, là il tournoya de plus en plus haut, en cercles de plus en plus étroits puis tomba comme une pierre sur les ruines de la cité, et montra l’emplacement d’un abattoir, d’un palmier, et indiqua où le palais, ensablé, se trouvait.
Cependant personne ne pouvait trouver l’entrée du palais. Le vent souffla d'abord du Nord, puis de l' Ouest, puis du Sud et enfin de l' Est, et par son action découvrit l'entrée du palais. Salomon entra avec ses hommes et se dirigea vers la salle du trône. Là ils tombèrent nez à nez avec une statue qui tenait une plaque d'argent dans sa bouche, sur laquelle on pouvait lire en caractères grecques les versets suivants:

Je suis Jedad u ben Ad,
j’ai vécu mille ans,
j'ai gouverné mille villes,
et j'ai monté mille chevaux.

J'ai tué mille guerriers,
et de mille femmes
que j’épousai,
mille fils me sont nés.

Mille savants me conseillèrent,
mais je ne pus fuir
l'ange de la mort.

Personne ne me surpassait en richesses,
ni en pouvoir
ni en âge.
Pour ça je vous préviens:

La Richesse ne peut vous aider!
le monde n’est qu’une illusion.
Tous les êtres vivants doivent mourir!

Après la lecture de ce texte étrange, le roi Salomon donna l’ordre de retourner à Jérusalem immédiatement. Le vent se mit de nouveau à souffler et recouvrit le palais de sable et les gens oublièrent le lieu de la cité du roi Jedad u ben Ad.

 

II
Le Jinn d'Imsouvourt

On raconte qu’un aïeul du Hajj Hassan Akhanchi de Ait Tamlal, en revenant du souk de Tamanar, trouva un chien noir qui le suivit et l'accompagna jusqu'à la porte de sa maison. L'homme avait besoin d'un chien, alors il l'adopta et lui donna de la nourriture. Depuis ce jour l'homme trouvait son cheval le matin couvert de sueur comme s'il avait travaillé dur toute la nuit. Il ne pouvait s'expliquer ce phénomène et consulta sa femme qui lui proposa de surveiller le cheval pendant la nuit. L'homme se mit à surveiller son cheval et vit au milieu de la nuit une scène étrange: Le chien entra dans l'étable, détacha le cheval, le monta et galopa en direction du cap Amikechd et revint juste avant l'aube. Il rattacha le cheval à sa place et sortit de l'étable. L'homme examina son cheval et le trouva fatigué et en sueur. Cette découverte le remplit de stupeur et il décida de ne divulguer le secret à personne.
Le couple avait une fille du nom d’Aicha qui montra une grande affection pour le chien. C'était elle qui donnait la nourriture au chien, en parlant très doucement avec l'animal comme avec une personne. Un jour elle surprit sa mère en disant: "Mère, intercède en ma faveur auprés de mon père de me donner comme épouse au chien. Il me l'a demandé et moi je le veux aussi."
La mère était totalement indignée et ne voulu rien entendre de plus, mais comme la fille insistait toujours sur le même propos, la femme parla finalement avec son mari. Ils décidèrent de surveiller la fille pendant les heures qu'elle passait avec le chien. Ainsi l'homme écouta, caché derrière une porte, comme sa fille conversait avec le chien.
«Qu'est-ce que nous pouvons faire si ma mère s'oppose a notre mariage?» demanda-t-elle.
«Tais-toi, répondit le chien, ton père est derrière la porte et nous espionne.»
Le père fut horrifié car il avait la preuve que le chien était un Jinn. Dans la même nuit la fille et le chien disparurent mystérieusement.
Après de longues années sans nouvelles, un jour, alors que le maître de maison était au souk de Tamanar, Aicha et son époux étrange entrèrent dans la ferme avec leurs deux fils. Elle demanda à sa mère: «Chère mère, je suis Aicha, ta fille, et ces deux garçons sont tes petits-fils. Prie mon père de nous accepter dans sa maison.»
La mère, pleine de joie, lui promit. Lorsque le père rentra du souk, la mère lui dit: «Ta fille Aicha est revenu et a amené ses deux fils. Laisse-la habiter ici!». Avant de donner son consentement, l'homme exigea de voir le père des garçons, mais sa femme lui dit: «Attend la nuit et observe le chien. Je suis sûre qu'il se transformera en homme.»
De fait, dans la nuit ils observèrent comme le chien se débarrassa de son pelage noir et se métamorphosa en un bel adolescent. Après quelques temps, le père, pensant qu'ils dormaient, s'empara du pelage du chien, mais au même moment le jeune homme s'éveilla et se transforma en nuage qui se dirigea en direction du cap Amikechd. Quelques heures plus tard Aicha et ses deux fils se mirent à dos d'âne dans la même direction et disparurent pour toujours.

Ce cap est une falaise énorme, qui tombe du haut deux cents mètres à pic dans la mer. A marée basse on y voit l'entrée d'une grotte qui donne sur un labyrinthe de plusieurs kilomètres de galerie. Les gens de la région disent que de temps à autre, le soir, on perçoit de la musique, des sons harmonieux de flûtes et de tambours, provenant des Jinn qui vivent à l’intérieur, gardant les trésors des pirates d'antan.

Berberkap

III
La Porte du Pardon n'est pas encore fermée!

Il y a environ 20 ans, j’entendis un conte extraordinaire de la bouche d'un cheikh très savant dans une zaouiya du sud:
«La fin du Temps est proche même si elle parait encore très lointaine. La Porte du Pardon est encore ouverte, et tant qu’elle le reste, il faut dire la prière et distribuer des aumônes. Un jour viendra où la porte se fermera et le soleil perdra sa lumière. Pendant trois jours régnera la nuit. Les hommes s'interrogeront sur le phénomène mais ne trouveront aucune réponse. Le quatrième jour l'aurore se lèvera du côté de la mer, c’est-à-dire à l’ouest, à l'opposé de d’habitude. Le soleil montera jusqu'à son zénith, puis fera demi-tour pour redescendre dans la mer comme toujours. Pendant ce temps les gens vivront sans amour entre eux, sans compassion et sans savoir, et ils oublieront la prière. Le jardin des âmes bienheureuses sera rempli et aucune nouvelle âme n'entrera plus. Les enfers auront encore beaucoup de place pour recevoir des hommes par abondance.
Ce monde sera plus grand que le monde actuel, et il durera plus longtemps que celui-ci du commencement jusqu’à la fermeture de la porte, et plus d’êtres y vivront. Ce n’est que bien plus tard qu’il sera anéanti par le feu.»
Quelques années après je rencontrai le même vieillard une nouvelle fois et lui demandai encore des explications. Il me répondit:
«Dieu n'est pas pressé, il ne connait pas de hâte. Personne ne connait la date du jour suprême. Il viendra demain ou après quarante mille ans. Il n'est pas nécessaire de le connaître, car la porte se fermera seulement quand plus personne ne se prosternera devant Dieu avec une sincère dévotion.
Et s’il n’a plus personne, digne de rentrer au paradis, alors l’enfer commencera à se remplir. A cet instant, la Porte du Pardon se fermera.»

berber dschinn

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